Jeudi 27 juillet
Ce sera un des plus longs billets, parce que nous avons quand même pas mal de choses à y raconter…
Je rappelle aussi un peu le contexte, parce que c’est important pour comprendre la succession de mauvais choix que nous allons faire aujourd’hui avec joie et bonne humeur…
Nous sommes le matin du 3ème jour du GR20 et nous allons affronter la masterpiece du parcours, l’étape des Rois ou tout autre nom qu’on peut imaginer pour dire que nos muscles peuvent commencer à rédiger une pétition.
Du côté de la confiance en soi, nous avons le fait que nous sommes encore vivants.
Du côté du désespoir et du questionnement, nous avons marché de 6h à 21-22h les deux premiers jours, nous avons une étape de retard, des douleurs aux épaules, au dos et aux pieds, Mathilde commence à perdre ses ongles d’orteil, nous avons consommé à peu près la moitié de notre stock de barres énergétiques en ne mangeant quasiment que ça matin, midi et soir, nous avons dû faire un bivouac interdit le premier soir, utiliser la lampe frontale le deuxième, et bon sang qu’est-ce qu’on fait là au lieu d’être sur un transat ?
Nous faisons rapidement ce constat à 6h30 lorsque sonne le réveil, et dans un moment de lucidité, nous décidons de prolonger notre nuit jusqu’à 8h. De toute façon, nous avons déjà prévu de ne faire qu’une seule étape. C’est une décision un peu difficile parce qu’un hôtel nous attend au bout du GR20, à compter du mercredi soir (à Conca) puis du jeudi soir (près de Porto-Vecchio)… mais nous avons prévu d’avoir 2 demi-journées potentielles de retard initialement, soit pile ce que nous aurons consommé à partir du 3ème jour de randonnée, donc tout n’est pas perdu !
Bref, nous nous posons sur le balcon du refuge à 8h30, face à notre premier petit-déjeuner et notre jus frais d’oranges pressées qui nous rappelle que oui, malgré les ampoules aux pieds, ce sont bien les vacances ! Aïe.
Nous partons à 9h, ce qui nous ferait donc arriver à 16h30 selon le guide.
Nous empruntons aujourd’hui la Pointe des Eboulis ; avant 2015, il s’agissait d’une « variante alpine » (plus longue et avec plus de dénivelé) par rapport au parcours normal, qui passait par le célèbre Cirque de la Solitude (plus technique). Depuis juin 2015, suite au décès de 7 randonneurs dans le Cirque, la variante alpine est devenue la voie normale.
Comme il est un peu tard pour les randonneurs, à 9h, nous ne croisons ni membre du refuge, ni randonneur sur le départ ; nous en voyons toutefois quelques-uns remonter une ancienne piste de ski, « face à l’hôtel », là où est annoncé le début de l’itinéraire. Nous demandons confirmation à un promeneur Corse, qui nous dit que nous pouvons prendre cette piste-là ou celle parallèle, et que nous trouverons une rivière à longer en haut, pour rejoindre tous les autres randonneurs.
Nous ne voyons pas de marques, alors qu’il y en avait tous les 50 mètres lors des deux premiers jours – nous mettons ça sur le compte du changement d’itinéraire récent mais trouvons ça louche quand même… Après 10 minutes de montée de piste de ski (100m de dénivelé quand même), nous demandons à un couple de Corses promenant leur chien… L’homme nous confirme que nous sommes sur la bonne voie, et qu’il faut « longer la rivière ». Nous voyons quelques traits rouge et blanc ici et là, mais à moitié effacés par le temps. Serait-ce l’ancienne voie du Cirque de la Solitude ? Après une dizaine de minutes sur ce parcours, nous décidons de faire demi-tour… Nous retombons sur le même homme, à qui nous faisons part à de nos doutes.
– C’est par là, pourquoi vous êtes redescendus ?! Je vous ai dit, c’est là-bas !
– Oui mais il n’y a pas de marquage… Nous cherchons la « nouvelle voie » , parce qu’ils ont changé avec le Cirque qui est fermé…
– Mais si, si ! C’est tout droit, à droite de la rivière, vous montez dans le bois, ça ramène au col. Vous ne pouvez pas vous tromper !
Bon… C’est un Corse, il doit bien connaître les montagnes de son pays.
Nous remontons donc, pour nous enfoncer plus profondément dans le sous-bois. A force de grimper, nous tombons sur des marquages blanc-rouge clairement barrés de peinture grise. Nous redescendons donc tout, jusqu’au refuge, ravis de cette petite mise en jambe…
En redescendant la piste de ski, nous avons confirmation que nous étions partis sur la voie « Cirque de la Solitude », et que la variante « alpine » était face à l’hôtel… mais l’autre face disons.
Nous partons à 10h20, ce qui nous ferait donc arriver à 17h50 selon le guide. Mais au moins, nous partons bien échauffés. Et puis, nous pouvons re-remplir à la source nos poches à eau et gourdes (2l + 1l), c’est pratique.
Le trajet est notamment marqué par l’une des pires montées du GR20, dans des gravats qui glissent sous nos pas… C’est aussi agréable que monter dans une dune de sable fin de plusieurs centaines de mètres avec un chargement de plus de 10 kg, sous un soleil méditerranéen entre 14h et 16h30.
Nous arrivons alors à la bien-nommée Pointe des Eboulis (2607m, le sommet du GR20), où nous discutons pour la première fois avec un randonneur. C’est la deuxième fois que celui-ci fait le GR20 – il y a 5 ans, il a dû arrêter avant Vizzavonna à cause de douleurs de genoux.
« Finalement, j’y suis revenu… Si on ne le finit pas, le GR20 nous rappelle toujours. »
Nous voulons bien le croire ! Les paysages sont superbes et le défi est intéressant – à la fin, on peut même faire une photo près d’un panneau « finisher » ! Lui a poussé jusqu’au point culminant de Corse, le Monte Cintu (2706m), à 1h de là ; nous ne le faisons pas, parce que nous avons déjà un peu de retard et que nous aimerions bien arriver sans utiliser notre lampe frontale pour une fois, histoire d’avoir encore un peu de batterie à la fin du séjour. Le randonneur nous propose de redescendre avec lui, mais nous ne voulons pas le retarder.
Après 4h30 de descente, nous arrivons à 21h au refuge de Tighjettu. Il est trop tard pour avoir le « repas du soir », mais au moins l’épicerie est encore ouverte et nous pouvons faire l’acquisition d’une voluptueuse boîte de raviolis (globalement, acheter une boîte de raviolis dans notre état sur le GR20, c’est un peu comme trouver l’Arche Perdue et recevoir en prime le Graal parce que c’est la période des soldes). Nous utilisons enfin un réchaud dans un refuge ; nous faisons enfin chauffer un de nos dix paquets de soupe lyophilisées que nous avons embarqué par inutile précaution ! (Inutile car soit nous sommes hors refuge sans feu et avec une réserve d’eau à ne pas gâcher – dans quel cas, c’est trop lyophilisé pour être mangé -, soit nous sommes dans un refuge et nous avons une épicerie pour se restaurer… nous en ramènerons les 3/4 d’ailleurs !).
Nous achetons également des mars, des pom’potes, du coca et de l’orangina : tout ça constituera au fil des refuges nos aliments principaux du GR20. Enfin, nous prenons également nos deux places de bivouac.
– Et c’est quelle place du coup, que j’achète là ?
– Oh, non, il n’y a pas de place attitrée ! C’est là où vous en trouvez, il y en a plein.
– Ah, d’accord, super ! (smiley content, on a fini l’étape la plus dure).
Nous finissons donc notre journée de la loose comme nous l’avons commencée : en faisant bêtement confiance aux gens.
Parce que quand on dit qu’on peut dormir près d’un refuge, il ne faut pas imaginer une grande plaine tranquille avec de belles allées bordées de fleurs. La plupart du temps, c’est un bout de montagne avec le dénivelé qui va bien, des cailloux ou des rochers à escalader pour aller au point d’eau, et éventuellement quelques endroits où il semble envisageable de poser une tente, voire de planter 2-3 piquets si vous avez de la chance. Le tout bordé d’excréments d’animaux. En fait, l’endroit pour dormir près du refuge sur le GR20, c’est une randonnée « assez difficile » dans une autre région de France.
Après avoir mangé, nous tournons donc pendant 15 minutes dans l’obscurité totale (avec nos lampes frontales, oui, merci de nous le rappeler), pour essayer de trouver un endroit où s’installer. Nous finissons par planter notre tente près du refuge, sur une quasi-place collée à une autre tente qui avait été laissée libre, par manque de place et/ou par proximité avec des déjections malodorantes car comme nous l’avons signalé ça n’est pas spécialement bordé de fleurs dans le coin.
Enfin, nous pouvons envisager de dormir… mais ce serait sans compter sur le vent qui souffle toute la nuit, les 116 fois où Michaël répète « elle va s’envoler, c’est sûr, zut j’aurais dû mieux apprendre à la fixer » en repensant à cette vidéo, ou son matelas qui se crève et le laisse dès le milieu de nuit sur le sol caillouteux.
Bref, ça n’était pas une bonne place.
Demain, nous verrons comment nous avons abordé la suite du parcours après la nuit la moins récupératrice du séjour !
D’après les guides qu’il ne faut pas croire…
Etape 4 : D’Ascu Stagnu (1425m) à Tighjettu (1683m) : 1300m de dénivelé (1050m de descente) sur 8,6 km, prévu en 7h30 environ. Demain, nous vous raconterons comment le guide peut se planter encore davantage…
(Petite note : nous avons ajouté 3 photos sur le diaporama de J1, pour montrer la taille de nos sacs et nos têtes du départ avec les lampes frontales qu’on ne pensait pas utiliser si tôt et si souvent…)